Le choix de Meta: ambitions et volume de données au service de l’IA généraliste
Depuis le 27 mai 2025, Meta a enclenché une nouvelle phase stratégique majeure : utiliser toutes les données publiques issues de ses plateformes – Facebook et Instagram – provenant d’adultes européens, pour entraîner ses systèmes d’intelligence artificielle générale (IA). Sont concernés posts, photos, likes, partages et commentaires publiquement accessibles (hors messages privés et contenus d’enfants). Selon la CNIL, Meta va ainsi s’appuyer sur des milliards de données, concrètement sur plus de 400 millions d’utilisateurs européens actifs, générant chaque jour des quantités « industrielles » d’informations vivantes et situées.
Meta affiche une volonté de « rattraper et dépasser » ses rivaux américains (OpenAI, Google, Microsoft) en matière d’AGI : transformer l’Europe en immense réservoir de data pour ses algorithmes génératifs – que ce soit pour la conversation, l’image ou la musique. Si l’ambition officielle demeure l’amélioration de produits IA « mieux adaptés au contexte européen » (Source Meta), la manœuvre s’inscrit surtout dans la course stratégique vers l’ia générale. L’Europe, bastion clé de la diversité linguistique et culturelle, se retrouve au cœur de cette aspiration technologique planétaire: la masse et la variété des données humaines sont devenues le nouveau pétrole pour espérer atteindre l’intelligence artificielle générale.
Consentement, RGPD et souveraineté : la bataille réglementaire
Au regard du RGPD, Meta n’impose pas un consentement actif : il s’agit d’un système d’opt-out, où l’entraînement a lieu par défaut sauf opposition explicite de l’utilisateur (Usine Digitale). Pour refuser, il faut remplir un formulaire dédié.Ainsi, chaque Européen adulte peut s’opposer, mais la démarche, jugée peu visible ou peu compréhensible, nourrit la critique des associations de défense des droits numériques (Noyb, La Quadrature du Net) qui dénoncent un mécanisme inverse à l’esprit du RGPD, lequel privilégie l’ « opt-in » (consentement éclairé préalable). Certaines CNIL européennes, dont la CNIL française, ont déjà demandé à Meta la suspension de l’entraînement.
Ces débats révèlent un enjeu central : la souveraineté numérique européenne face aux géants américains. L’Europe, dotée d’un écosystème réglementaire exigeant, se heurte à la puissance d’innovation algorithmique de Meta. Les points de friction portent sur la protection des données personnelles au service de l’IAG, la capacité réelle à opposer son refus, et la tentation des plateformes d’utiliser l’Europe comme » fief data » sans garanties de retombées locales. Consultations officielles et mises en demeure sont en cours (CNIL, Usine Digitale).
Conséquences pour l’AGI : diversité humaine, biais et accélération
Ce tournant dans la collecte de données publiques par Meta pour entraîner ses IA promet des impacts forts sur l’AGI. L’ampleur inédite de la base de données – mélange de langues, cultures, pratiques sociales et débats d’opinion du continent européen – dote les modèles d’une richesse contextuelle jusque-là impossible à obtenir (voir LeBigData). Pour les chercheurs, c’est une occasion unique d’injecter une diversité de situations réelles susceptibles de rendre les IA plus robustes et capables d’initiatives relevant de l’intelligence artificielle générale.
Mais cette stratégie massive n’est pas sans revers. Selon la CNIL, il existe des risques concrets de biais systématiques (certains groupes sociaux surreprésentés ou marginalisés), de création de modèles IA reflétant des préjugés, et d’éventuels effets d' »empoisonnement » des algorithmes (voir aussi DeepAI). La vie privée reste un enjeu brûlant : même si seuls les contenus publics sont utilisés, leur analyse à grande échelle rend la protection des droits individuels incertaine (NordVPN). Cette accélération pose la question du contrôle démocratique sur l’émergence d’une future superintelligence artificielle.
Pour approfondir les enjeux écologiques, voir ce dossier sur l’AGI et ses défis énergétiques.
Comment et pourquoi s’opposer à l’entraînement de Meta? Tutoriel et enjeux
Chaque citoyen européen peut faire valoir son droit à l’opposition au traitement de ses données publiques par Meta, conformément au RGPD. La procédure s’effectue via un formulaire en ligne dédié (accessible depuis la page Paramètres ou Aide de Facebook/Instagram): il faut formuler une objection à l’utilisation des informations à des fins d’entraînement IA, puis valider et attendre le mail de confirmation de Meta (APD, CNIL).
- Se connecter à votre profil Facebook ou Instagram
- Aller dans : Aide > Politique de confidentialité > Opposition à l’utilisation de mes données par l’IA de Meta
- Remplir et envoyer le formulaire proposé
- Surveillez votre email pour obtenir la confirmation
Limites: la démarche doit être recommencée si vous modifiez vos paramètres, et seuls les contenus « publics » sont concernés. Les ONG (Noyb, Test-Achats…) pointent le rapport de force inégal: la procédure touche une minorité, et l’invisibilisation du choix d’opposition aboutit à une exploitation massive des données, réduisant le contrôle individuel effectif. Les enjeux éthiques se situent à l’articulation entre protection de la vie privée, démocratie et responsabilité citoyenne face à la puissance de l’IAG.
Conclusion: AGI à l’européenne ou simple réservoir de data ?
Le bras de fer engagé autour de l’entraînement des IA de Meta éclaire les dilemmes de la souveraineté numérique européenne: l’UE peut-elle peser sur le développement de l’intelligence artificielle générale, imposer ses valeurs et tirer profit de ses trésors de données, ou restera-t-elle cantonnée au rôle de « fournisseur brut » pour les modèles développés outre-Atlantique ? Ce débat, qui mobilise CNIL, associations, et citoyenneté numérique, rappelle l’importance d’un contrôle démocratique de l’IA et d’une vision partagée de l’avenir : l’AGI, au lieu d’un simple enrichissement industriel étranger, peut-elle devenir un projet de société européen, éthique et piloté selon nos sensibilités (Commission européenne) ?
En prolongement, OpenAI a récemment lancé son programme Superalignment Fast Grants pour sécuriser l’intelligence artificielle générale, signalant à la fois enjeux de sécurité, de contrôle et d’innovation. Reste à l’Europe de transformer ce tournant data en force pour l’AGI inclusive et souveraine.