Un nouveau front invisible : la rareté matérielle qui menace l’AGI
Bien que la intelligence artificielle générale (IAG, ou AGI) soit souvent abordée sous l’angle du code et des algorithmes, un défi tout aussi crucial émerge en coulisse: la guerre silencieuse, mais féroce, autour des ressources matérielles stratégiques. Les GPU de pointe, ASICs spécialisés et semi-conducteurs avancés ne sont que la partie visible de l’iceberg. Derrière chaque baie de serveurs, ce sont des minerais rares, des terres rares (néodyme, praséodyme, yttrium), du cobalt, du gallium, du lithium et du cuivre, sans lesquels toute puissance de calcul reste illusoire.
La course effrénée à la superintelligence artificielle dépend aujourd’hui d’une chaîne logistique mondiale, extrêmement concentrée et vulnérable: la Chine contrôle 69% de l’extraction et 92% du raffinage mondial des terres rares (Goldman Sachs, 2025), et plus de 98% de la production primaire du gallium à usage électronique. Les ruptures de stocks ou embargos sur ces matériaux sont capables, du jour au lendemain, de ralentir ou de stopper net la progression vers l’AGI. Pour un panorama des enjeux liés à l’accès aux infrastructures, voir cet article spécialisé.
Au-delà du silicium, l’étau logistique se resserre: extraction, raffinage, logistique, gravure avancée, chaque maillon est potentiellement un point de défaillance. Or, dans la compétition AGI, ce sont désormais ces « goulots d’étranglement » matériels qui conditionnent la souveraineté technologique, bien plus que le code lui-même. Comprendre cette réalité, c’est saisir pourquoi la ia générale ne doit pas être pensée sans sa dimension matérielle profonde.
2025 : ruptures et tensions sur la chaîne d’approvisionnement IA
L’année 2025 marque une mutation profonde de la géopolitique technologique, sous l’effet d’une demande mondiale explosive pour les puces d’IA. NVIDIA (A100, H100, L40s), AMD (MI300X), mais aussi les dernières ASICs spécialisées – notamment celles de Google (TPU v5), Amazon (Trainium) ou dédiées à l’edge computing – sont désormais arrachées lors de chaque batch de production: le NVIDIA A100, les RTX 4090 et 5090, A6000, L40s, H100 NVL, ou encore les modèles personnalisés d’Amazon et Google, figurent désormais sur les listes de composants les plus scrutés et convoités.
Ce boom impacte directement le marché des matières premières: le lithium, le cobalt, le cuivre et les terres rares apparaissent comme les « baromètres » du secteur. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande en nickel, cobalt et graphite a bondi de 6 à 18 % en 2024, tandis que la demande en lithium a progressé de 30 % en 2023. Des tensions éclatent: la Chine a restreint les exportations de gallium et germanium, provoquant une flambée des prix et un risque de pénurie mondiale (Richelieu, 2024).
Face à cela, de nouvelles alliances stratégiques émergent: entreprises de la tech, géants miniers, États et souverainistes tentent des coopérations inédites pour garantir leur indépendance en minerais clefs. La spéculation sur ces matériaux s’intensifie, menaçant l’écosystème mondial de intelligence artificielle fort énergivore, ce qui renforce les débats sur une IA forte durable. Sans sécurisation de la chaîne matérielle, même les meilleures architectures logicielles resteront lettre morte.
Nouvelle géopolitique de la superintelligence matérielle: fractures et recompositions
L’émergence de ces « goulots d’étranglement » fait évoluer rapidement la carte du pouvoir mondial en matière d’AGI et d’ASI. Les États-Unis restent maîtres dans la conception des GPU d’IA de pointe (NVIDIA, AMD), tandis que la Chine verrouille l’accès aux minerais et terres rares stratégiques: plus de 98% du gallium, 69% des mines de terres rares et la quasi-totalité du raffinage mondial passent par Pékin (rapport FPA, 2025). Face à ce duopole, l’Europe accélère : plans de relocalisation industrielle, nationalisations minières, investissements massifs dans des alternatives (graphène, puces post-silicium), négociations de coopération avec l’Afrique ou l’Amérique du Sud.
Les embargos se multiplient: restrictions américaines sur l’export de puces avancées vers la Chine (Skadden, 2024), riposte chinoise sur les terres rares et leurs dérivés, nationalisations stratégiques en Amérique latine et tentatives d’OPEP du lithium. Le Moyen-Orient investit dans la transformation locale. La moindre fracture logistique – naturelle, politique ou technologique – peut faire basculer l’équilibre de la superintelligence mondiale.
Quels scénarios? Si la supply chain matérielle se fragmente durablement, la course à la intelligence artificielle générale pourrait connaitre une régionalisation extrême, voire une « balkanisation » des infrastructures. La maîtrise matérielle – plus encore que logicielle – deviendra la clef de toute souveraineté AGI, comme le démontre l’analyse détaillée de la bataille des datacenters géants.
Au-delà du code : la bataille pour la maîtrise matérielle de l’AGI
La course à la ia générale ne se joue plus uniquement dans les circuits logiques des algorithmes, mais sur le terrain physique des infrastructures et de la chaîne logistique. Sécuriser l’AGI, c’est désormais contrôler l’extraction, la transformation et la distribution des matières stratégiques, protéger les usines de gravure, et garantir la résilience logistique (rapport OCDE).
À ce jeu, les vulnérabilités matérielles deviennent une « kill switch » stratégique: attaques sur la chaîne d’approvisionnement, sabotages, restrictions à l’export ou piratage logistique peuvent désarmer une IA aussi sûrement qu’une faille logicielle. Face à ces risques, la transparence sur les chaînes d’approvisionnement, la mutualisation internationale des ressources ou le passage à des architectures post-silicium – spintronique, graphène, photonique – s’imposent comme pistes majeures.
L’économie circulaire pointe aussi la voie: recyclage intensif de GPU/ASICs, réutilisation des terres rares, mutualisation du matériel via des hubs internationaux (circular economy for AI chips). Ces stratégies, encore balbutiantes, pourraient devenir vitales pour la pérennité d’une intelligence artificielle résiliente face aux chocs géopolitiques ou écologiques. L’avenir de l’IAG dépend désormais autant du code… que des matériaux qui l’hébergent.
Conclusion: le hardware, véritable talon d’Achille de la superintelligence ?
L’image d’une superintelligence artificielle omnipotente se heurte à la réalité physique et géopolitique du hardware. Aucun modèle d’intelligence artificielle générale ne surpasse les limites des chaînes d’approvisionnement en minerais, composants et énergie. Les risques de chantage technologique ou d' »écoblocus » ne sont plus des fictions, mais des menaces concrètes: les guerres de matériaux deviennent le nouvel horizon de la souveraineté numérique.
Face à ce constat, il est plus que jamais urgent d’anticiper, de diversifier et de réguler ces nouveaux risques. Cela passe par l’innovation dans les architectures matérielles, mais aussi par la coopération internationale et l’adoption généralisée de l’économie circulaire. La frontière critique pour l’AGI et l’ASI se situe désormais moins dans les couches logicielles que dans la profondeur… géologique. Pour poursuivre cette réflexion, découvrez les enjeux énergétiques soulevés par l’explosion énergétique de l’IA forte ou approfondissez la bataille géopolitique autour des datacenters mondiaux.
