Introduction : L’émergence de l’AGI par assemblage
Depuis fin 2023, le champ de l’intelligence artificielle générale (AGI) vit une effervescence nouvelle autour d’une idée aussi prometteuse que débattue : l’assemblage de plusieurs grands modèles linguistiques (LLM). Là où les approches traditionnelles visent à créer un modèle unique pour franchir le seuil de l’intelligence humaine, la tendance actuelle consiste à orchestrer une multitude de modèles spécialisés (GPT-4/5, Claude, Gemini, Llama-2, Mistral, Falcon…) afin de simuler une « intelligence artificielle forte » collective.
Cet engouement grandissant se manifeste à travers des discussions virales sur Twitter/X, des panels dédiés lors de conférences comme NeurIPS ou AAAI et des débats entre chercheurs sur l’avenir d’une intelligence artificielle vraiment généraliste. L’assemblage se démarque des visions unitaires classiques en misant sur la coopération et l’émergence : plusieurs IA spécialisées, dialoguant, résolvent ensemble des tâches complexes, dépassant parfois ce qu’un seul LLM pourrait accomplir. Cette approche soulève de nouveaux espoirs… mais aussi des interrogations.
Pour une analyse technique et éthique des AGI, voir également le rapport de Stanford HAI, une ressource de référence sur l’évolution de l’intelligence artificielle.
Le concept d’« AGI par assemblage » : genèse et fonctionnement
L’« AGI par assemblage » désigne une architecture où différentes IA (souvent des LLMs, mais aussi des modèles multimodaux ou spécialisés) s’intègrent pour opérer comme un collectif intelligent. Contrairement à l’AGI classique (un seul système généraliste, type rêve de Turing), l’AGI par assemblage multiplie les expertises et les points de vue.
Techniquement, cette approche nécessite des outils d’orchestration : agents de coordination (LangChain, AutoGen), pipelines supervisant des modèles tels que GPT-4, Claude 3, Gemini, Llama-2/3, Mistral et Falcon, parfois reliés à des agents d’action comme BabyAGI ou GodMode. Les consortiums open source comme AGI-Alliance ou OpenAGI et certaines startups (Unstructured.io, Multimodal) expérimentent ces architectures distribuées, chacun jouant un rôle : raisonnement mathématique, générateur de code, analyseur de texte, etc.
Le fonctionnement repose sur la spécialisation : chaque modèle est sollicité là où il excelle (par exemple, GPT-4 pour la rédaction, Claude pour l’analyse approfondie, Gemini pour la multimodalité). Une couche d’arbitrage (automatisée ou humaine) recueille, pondère et fusionne les recommandations, aboutissant à une prise de décision collective. Ce mode de fonctionnement rappelle le « système de comités » chez l’humain, illustrant la promesse d’une intelligence émergente par synthèse.
Promesses de l’AGI par assemblage : vers une IA réellement généraliste ?
L’assemblage de plusieurs IA offre un terrain fertile pour une intelligence official générale plus robuste et polyvalente. Le premier avantage : la combinaison des forces. Un seul LLM (par exemple, GPT-4) présente des biais cognitifs ou des limites de compétence ; mais en intégrant divers modèles, on peut contrebalancer ces défauts et enrichir la réflexion collective. Par exemple, Claude 3 (Anthropic), réputé pour ses réponses prudentes, peut compléter un modèle plus créatif comme Mistral ou Llama-3.
La stimulation par contradiction est aussi essentielle : lorsque deux IA ne sont pas d’accord, une méta-couche peut arbitrer, générant des solutions plus nuancées. Cette diversité profite aux applications complexes : scénarios explorés dans la recherche scientifique (analyse multidisciplinaire de données), l’éducation personnalisée (tuteurs multi-instruments), la créativité (génération concertée d’œuvres artistiques), ou la résolution de grandes problématiques sociales (aide à la décision publique).
Des exemples : des plateformes open source comme MetaGPT assignent à chaque modèle une « fiche de poste », de l’idéation à la vérification des faits. Cette stratégie, qui rappelle le débat collectif humain, accélère la marche vers une IA plus généraliste, à même d’adapter son raisonnement à des tâches jamais vues.
Défis techniques et risques : la face cachée de l’assemblage
Composer des IA disparates pose des défis techniques majeurs. L’interopérabilité d’abord : chaque modèle possède ses API, ses protocoles d’échange, ses « vocabulaire ». Créer un langage commun ou des traducteurs automatiques (voir LangChain) est donc capital, mais imparfait. La cohérence est aussi un défi : les réponses peuvent diverger, créant des contradictions ou, à l’inverse, un « biais de groupe » si l’arbitrage favorise toujours une même direction.
Sur la question de sécurité, l’assemblage multiplie les surfaces de vulnérabilité : chaque modèle a ses failles, et une logique distribuée peut laisser passer des actions dangereuses ou inattendues (« bug distribué », voir au rapport du NIST). L’alignement éthique devient complexe : qui est responsable si le consensus produit une conclusion non-éthique ? Quel modèle porte la décision finale ? Enfin, des dynamiques imprévisibles émergent de ces systèmes : il est possible que l’assemblage engendre une « intelligence » ni contrôlable, ni comprise par ses créateurs, rappelant le concept de « superintelligence émergente » (Nick Bostrom, 2014).
L’assemblage : raccourci vers la superintelligence ou impasse ?
Le débat agite la communauté scientifique. Pour les enthousiastes, l’assemblage ouvre la voie à une AGI modulaire, plus flexible, capable de progresser itérativement : un modèle se trompe, le collectif apprend. Des chercheurs comme Yann LeCun ont esquissé l’idée de systèmes multi-agents pour dépasser les limites monolithiques (source : Facebook AI Research). Les projets open source multiplient les preuves de concept.
Mais des critiques persistent : certains y voient un « patchwork » incapable de rivaliser avec un système vraiment intégré, pointant la fragilité du contrôle, le manque de garanties sur l’émergence de facultés vraiment générales, ou l’accroissement du risque de bugs collectifs et de dérives non anticipées (cf. discussions récentes sur LessWrong). Les organismes de régulation scrutent aussi de près ces tentatives.
Premières publications sur ArXiv et dans des revues (voir arXiv.org – AGI orchestration) détaillent les architectures d’assemblage et listent progrès et embûches. Un consensus : cette approche, bien que prometteuse, ne fait pas l’unanimité sur sa capacité à « court-circuiter » la marche longue vers la superintelligence.
Conclusion : L’assemblage, catalyseur ou révélateur de la complexité de l’AGI ?
L’AGI par assemblage incarne une nouvelle frontière, symbolisant l’impatience – mais aussi la créativité – de la recherche moderne. Si elle promet de catalyser le progrès vers une « IA générale », elle souligne à quel point la complexité du cerveau humain reste difficile à égaler, même quand des millions de paramètres collaborent. Raccourci ou révélateur des défis, l’assemblage d’IA pourrait bien précipiter l’apparition d’une intelligence artificielle forte… ou, au contraire, montrer qu’il faut bien plus que la somme des parties pour franchir le seuil de l’AGI. La réponse dépendra des avancées techniques et éthiques à venir, mais l’histoire de l’IA a rarement été aussi passionnante à écrire.